Dans un monde en pleine mutation, le concept même de nationalité se trouve ébranlé. Entre conflits, migrations massives et remises en question identitaires, le droit fondamental à appartenir à un État est plus que jamais menacé. Décryptage d’une problématique aux enjeux cruciaux pour l’avenir de nos sociétés.
Les fondements juridiques du droit à la nationalité
Le droit à la nationalité est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Son article 15 stipule que « tout individu a droit à une nationalité » et que « nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité ». Ce principe fondamental vise à garantir que chaque personne puisse bénéficier de la protection d’un État et des droits qui en découlent.
Au niveau international, la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie complètent ce cadre juridique. Elles imposent aux États signataires de prendre des mesures pour prévenir et réduire l’apatridie, notamment en accordant la nationalité aux enfants nés sur leur territoire qui seraient autrement apatrides.
Les crises contemporaines menaçant le droit à la nationalité
Malgré ces garde-fous juridiques, de nombreuses situations contemporaines mettent à mal le droit à la nationalité. Les conflits armés et les déplacements forcés de population créent des situations de vide juridique où des millions de personnes se retrouvent sans papiers ni reconnaissance officielle. Le cas des réfugiés syriens ou des Rohingyas en est une illustration tragique.
Les politiques migratoires restrictives de certains pays développés contribuent à accroître le nombre de personnes en situation irrégulière, parfois sur plusieurs générations. Aux États-Unis, la question des « Dreamers« , ces jeunes arrivés illégalement enfants avec leurs parents, illustre la complexité de ces situations où le droit du sol se heurte aux politiques de contrôle de l’immigration.
Le changement climatique engendre lui aussi de nouveaux défis. La montée des eaux menace l’existence même de certains États insulaires comme Tuvalu ou les Maldives. Que deviendront leurs citoyens si ces pays venaient à disparaître ? Le droit international n’a pas encore de réponse claire à cette question inédite.
Les dérives inquiétantes de la déchéance de nationalité
Face aux menaces terroristes, plusieurs pays ont mis en place ou renforcé des procédures de déchéance de nationalité. Si la lutte contre le terrorisme est légitime, ces mesures soulèvent de sérieuses questions éthiques et juridiques. En France, le projet de déchéance pour les binationaux condamnés pour terrorisme a suscité un vif débat en 2015-2016 avant d’être abandonné.
Au Royaume-Uni, le cas de Shamima Begum, cette jeune femme partie rejoindre l’État islamique en Syrie et déchue de sa nationalité britannique, a mis en lumière les dérives possibles de telles politiques. Privée de son seul passeport, elle s’est retrouvée apatride de facto, une situation contraire au droit international.
Vers de nouvelles formes de citoyenneté ?
Face à ces défis, de nouvelles approches de la citoyenneté émergent. L’Union européenne a créé une forme de citoyenneté supranationale, accordant des droits communs à tous les ressortissants des pays membres. Ce modèle pourrait-il s’étendre à d’autres régions du monde ?
Certains théoriciens proposent des concepts plus radicaux comme la « citoyenneté mondiale« . L’idée serait de garantir un socle de droits fondamentaux à tous les êtres humains, indépendamment de leur nationalité. Si cette vision reste utopique à court terme, elle ouvre des pistes de réflexion intéressantes pour repenser notre rapport à l’appartenance nationale.
Les nouvelles technologies pourraient jouer un rôle dans ces évolutions. Des projets d’identité numérique décentralisée, basés sur la blockchain, sont à l’étude pour offrir une forme de reconnaissance officielle aux personnes privées de papiers. Sans remplacer la nationalité traditionnelle, ces solutions pourraient offrir une protection juridique minimale aux populations les plus vulnérables.
Le droit à la nationalité, pilier de notre ordre juridique international, se trouve aujourd’hui confronté à des défis sans précédent. Entre crises humanitaires, enjeux sécuritaires et bouleversements environnementaux, repenser ce concept fondamental s’impose comme une nécessité pour garantir la protection des droits humains à l’échelle mondiale. Les solutions existent, mais elles nécessiteront une coopération internationale renforcée et une volonté politique forte pour être mises en œuvre.